En 1999, deux expériences menées par un vigneron
et Gil Morrot (INRA de Montpellier) démontrent que
« Le goût est trompé par la vue ». À 54 élèves oenologues,
ils ont demandé de commenter quatre vins à
l’aveugle. Les deux vins blancs étaient identiques,
sauf que le second était coloré. Résultat, sur le
second, tout le monde nota cassis, pruneau et mûre.
Ensuite, les élèves notèrent plus sévèrement un vin étiqueté vin
de table qu’un vin étiqueté grand cru classé, alors qu’ils étaient
semblables. Cet exercice de style rappelle que nous
sommes sous l’influence de nos préjugés.
Dans Initiation à la dégustation, Max Léglise rappelle
qu’il faut d’abord s’écouter. Lors d’une dégustation, il
explique qu’un dégustateur peut dire et faire avaler
n’importe quoi à quiconque. En résumé, la dégustation,
le goût, les ressentis sont personnels.
En 1994, lors d’un reportage, trois dégustateurs
connus dont Philippe Faure-Brac étaient sollicités
pour tester un vin à l’aveugle. Le premier restaurateur
se planta complètement et dit bourgogne, le
second, Faure-Brac, le décrivit différemment et plus
justement avec des notes chaudes : « Impossible de
dire ce que c’est, mais pour moi c’est un vin qui a vu
beaucoup de soleil, donc peut-être un Rhône ou un
espagnol ». Le troisième était un vieux roublard de
professeur à l’université des vins de Bordeaux. Il
décrivit à peu près les mêmes sensations que le meilleur
sommelier du monde 1992, alors qu’ils n’étaient
pas ensemble.
Le journaliste lui demanda son avis
sur la région et l’appellation. Il répondit : « C’est très
chaud et généreux avec des notes de cacao, et
d’épices… moi je vois ce vin avec un bon lièvre à la
royale ». Le journaliste insista, il répondit : « Demandez
au lièvre… ». C’était un anjou rouge récolté en
surmaturité sur un millésime très chaud, et le vieux
dégustateur avait flairé le piège.
En 1995, lors de mes deux années à Nantes au
restaurant l’Atlantide, nous organisions des dégustations
entre sommeliers tous les mois. Lorsque ce fut
notre tour d’inviter, j’ai eu la mauvaise idée de dévoiler
le vin choisi pour la dégustation, un muscadet. La
diplomatie féminine intervint et me fit comprendre
que si c’était du muscadet, personne ne serait présent.
Un mois plus tard, un vigneron bourguignon
nous accompagnait pour une dégustation de sa
région. À la bonne heure, que du beau linge participait,
soit 30 sommeliers de la région. Entre un pernand-
vergelesses et un meursault, une carafe jaune
ouverte depuis 3 heures flânait sous les nez de tous.
Nez de beurre, gras et d’agrumes avec une bouche
imposante et une grande minéralité. Verdict : « chablis
», acclamait la foule et là, je vis Joseph Landron,
vigneron dans le Muscadet, qui rigolait sous ses
moustaches. Il avait reconnu son vin, muscadet Hermine
d’or 1990… Je tenais ma vengeance… C’était
jouissif.Mais pas pour longtemps, une semaine après,
une commande était nécessaire, mes amis sommeliers
avaient dévalisé le stock. Je pleurais tou tes s les
larmes de mon corps ! La vengeance est vraiment un
plat qui se mange froid.
extrait de mon ebook "le petit dico du vin naturel"